©Marion Pluss
Sentir le vent s’engouffrer de plus en plus dans mon casque. Sentir la pluie me fouetter le visage. Sentir le soleil chauffer à blanc le réservoir du moteur. Sentir la morsure du froid au petit matin. Sentir l’immensité de l’horizon, des possibles directions.
Pouvoir aller n’importe où, n’importe quand. Voilà ce qui mène ma vie depuis trente ans. Ce sentiment de liberté me guide. J’enfourche ma bécane et le hasard m’emporte dans de nouveaux endroits. J’y trouve de petits boulots qui me permettent de vivre et d’entretenir ma moto. J’en ai vu des paysages, j’en ai croisé des gens. Assis sur ma Harley, J’ai vu défiler tous les continents.
Aujourd’hui, j’ai cinquante ans et qu’est ce que que je vais faire ? Je fatigue. Les longs trajets en moto commencent à devenir difficiles. Mes articulations ne suivent plus, j’ai le dos en compote. J’ai du mal à trouver des jobs d’appoint. Mon âge commence à se voir, je ne suis plus aussi dynamique. Mais si j’arrête, je fais quoi ? J’ai tout sacrifié à mon envie d’échapper au train-train quotidien, à mon impossibilité à supporter des horaires, un patron. Aucune attache, aucune famille, j’ai fait table rase des sentiments. Personne ne m’attend nulle part.
Voyez avec qui je fête mon anniversaire : Patrice, un biker de longue date comme moi. Je le croise régulièrement sur les routes. On picole ensemble jusqu’à plus soif. Lui aussi commence à vieillir, à ne plus avoir un sou en poche. Je le vois bien finir sous les ponts cet arsouille. Regardez-le, il est bien content de m’avoir trouvé pour se saouler ! Il va s’accrocher à moi jusqu’à ce qu’il roule sous la table et s’y endorme. Je pourrais en rire si ce n’était pas si pathétique et si je n’avais pas l’impression de me voir en Patrice.
Un motard de 20 ans, ça fait rêver, ça titille l’imaginaire, ça apporte un souffle de liberté, de fraîcheur. À 50 ans, ça fait juste de la peine, ça frôle le ridicule avec le blouson en cuir fatigué, les tatouages qui ne ressemblent plus à rien sur la peau distendue, les quintes de toux à cause de l’abus de clopes et le ventre gras, flasque à cause de la bière. Je ne ressemble à rien et je ne possède rien en dehors de ma bécane. Pitoyable. Je me sens juste seul et parfaitement pitoyable.
Mais, mais, mais, c’est hyper jeune 50 ans 😉
Je n’ai pas dit que c’était vieux ! Mais on commence quand même à sentir une différence physiquement.
Intéressante réflexion sur le temps qui passe : du fier biker de 20 ans au quinquagénaire qui s’interroge sur son avenir…
Je pense qu’en vieillissant, on s’interroge plus sur l’avenir, le confort, on a besoin d’être sécurisé.
Une réflexion sur le passé et l’avenir teintée de regrets et de noirceur. J’espère qu’il trouvera un nouveau souffle :). À 50 ans, on a encore le temps de vivre et de faire de belles choses !
Oui, à 50 ans la vie est encore longue mais c’est aussi le moment où jamais si l’on souhaite changer de vie.
Encore biker et routard à cinquante ans, aucune raison de ne pas continuer à s’accrocher au guidon!
Mais est-ce que l’on peut encore être biker à 70 ans ? Surtout quand on fait que ça toute sa vie.
C’est son regard à lui, pas celui de l’extérieur. En tout cas, pas celui de tout le monde.
Oui complètement, c’est la manière dont lui se sent à 50 ans. Il commence à se poser de sérieuses questions sur son avenir, je pense qu’en vieillissant c’est normal de s’interroger sur la deuxième partie de la vie.
J’aime beaucoup ta façon d’exprimer le temps qui passe, bravo 🙂
Merci, c’est vraiment très gentil. C’est une question qui m’intéresse beaucoup.
20 ou 50 Faut vivre sa vie. bien raconter, merci.
Merci à toi Kentin pour ton commentaire ! Il faut effectivement toujours suivre son instinct.
Je connais pas mal de biker qui ont largement plus! Ce biker a juste du mal à passer le cap de la cinquantaine, ce que je comprends. Son angoisse de vieillir est bien traduite.
Merci Sabine, je pense qu’effectivement cinquante ans est un vrai cap à franchir et qui est particulièrement questionnant. Comment va-t-on vieillir ? Dans quelles conditions ? Et ça doit être aggravé par le fait d’être seul.
pourtant j’en connais quelques-uns pour qui ça a précisément commencé vers cet âge-là 😉
Cela ne m’étonne pas, tu peux faire une crise de la cinquantaine et larguer les amarres !
Un texte emouvant. J’aime bien.
Merci beaucoup Victor, je suis heureuse de savoir qu’il t’a touché.
texte poignant
Merci beaucoup !
Il y a de la nostalgie dans ce texte…. Le temps qui passe, oui, certes mais tout est une question de point de vue.
50 ans est un âge charnière où tu peux décider du reste de ta vie, ça peut être angoissant ou tout au moins questionnant.
Assez désabusé ton personnage:) on a envie de le rassurer.
Oui, la cinquantaine lui fait se poser beaucoup de questions sur la vie qui l’a menée jusque là. Mais cela peut aboutir sur de belles choses de faire un point.
Ah ah, punaise tu y vas fort avec les types de 50 ans ! 😮 Les pauvres, on dirait qu’ils ont 70 ans ! 😛
C’est vrai que j’y suis peut-être allée un peu fort mais je me dis qu’une vie passée sur une moto doit quand même bien user le corps !
J’aime beaucoup tes mots sur mon image 🙂
Je suis toujours contente et touchée quand tu me dis ça Marion. Cela doit être un plaisir de lire des textes tirés de tes photos.